Pour
donner du sens à une vraie politique d’égalité des territoires et du logement.
Marilza de Melo Foucher (1)
Comment aller au-delà
d’une conceptualisation du développement durable pour mener une autre politique
d’aménagement territorial ?
Voilà une question centrale et un défi de taille pour
la nouvelle Ministre de l’« égalité des territoires et du logement ».
L’histoire de la
planification urbaine en France est marquée par la centralisation et sa nature
quelque peu autoritaire, avec un mode de décision et d’intervention classique,
partant du haut vers le bas. Cette situation a engendré villes nouvelles, cités
périphériques et grands ensembles, des lieux où le cadre de vie et le lien
social se détériore rapidement, où les ghettos se forment depuis plusieurs
décennies car s’y rassemblent la main d’œuvre immigrée, arrivée après la
guerre, les étrangers et les exclus de la société. Ces lieux où les principes
d’égalité républicaine et de mixité sociale se désintègrent avec le temps.
Il est temps de
repenser la politique du développement territorial avec une approche globale
mais néanmoins pragmatique. En ce sens, le développement territorial durable
n’est évidemment pas sans rapport avec la question de la construction d’une
démocratie plus participative.
Une occasion pour la Ministre d’aborder et de traiter
les problématiques économiques, sociales, culturelles et environnementales dans
leur ensemble, pour rendre l’espace urbain et rural agréable pour vivre,
travailler et créer. Seule une vision systémique du développement territorial
peut garantir la durabilité écologique, sociale, culturelle, politique et
économique. Cette évidence n’est pas encore partagée par tous. Pourtant, il est
devenu urgent de sortir du catalogue de bonnes intentions pour résoudre, par
exemple, les problèmes du logement.
Madame la Ministre , osez rêver,
osez affronter la crise économique sans fatalité. Oui, il existe des
possibilités d’action en politique. Il faut agir vite là où le chômage fait des
ravages, là où les générations se confrontent et ne dialoguent plus… dans nos
banlieues grises, dans les cités - dans la Cité – mais sans citoyenneté.
Sur ces territoires, s’accumulent
toutes les inégalités : face à l’emploi, face à l’école, face à la santé,
face à la justice. Dans ces lieux, se sont concentrées toutes les difficultés,
toutes les précarités structurelles et la ségrégation sociale n’a cessé
d’empirer ces dernières décennies.
Les zones urbaines et
semi-urbaines sont devenues des territoires d’exclusion avec des quartiers entiers
sinistrés et une jeunesse livrée à elle-même, abandonnée par la république.
Malgré les difficultés
croissantes, beaucoup ont fait preuve de dynamisme notamment grâce aux
associations. Il y a eu des tentatives de construire des réseaux de solidarités,
des initiatives pour l’intégration de ces exclus, mais elles n’ont pas toujours
été bien accueillies par les autorités publiques qui semblaient redouter la
montée du communautarisme. Au lieu d’encourager l’inventivité, le dynamisme et
l’esprit de fraternité du milieu l’associatif, véritable levier et vecteur du
changement structurel, les autorités publiques ont préféré laisser les
associations de quartiers se développer dans la précarité. Au fil des années,
l’aide publique s’est considérablement réduite, allant même jusqu’à disparaître
purement et simplement.
Certes, le monde
associatif est complexe. Cependant, la précarité et la course aux subventions
engendrent souvent une compétition entre les structures, au détriment de leur
complémentarité et de la nécessaire concertation. Toutefois, quand les
objectifs et le rôle de chacun sont bien définis, les acteurs du développement
solidaire local peuvent travailler ensemble, dans un projet où chacun est alors
en capacité de jouer un rôle important d’intermédiation pour la rénovation
sociale et économique, tout en impliquant les habitants dans le développement
territorial intégré.
Il est temps de
s’interroger sur les modes d’organisation de l’espace urbain pour tisser de
nouveaux liens générationnels, au cœur des cités et de la Cité , des liens qui se sont
brisés. Il ne faut pas oublier que le potentiel humain et le savoir-faire de
chacun est intact dans ces zones d’exclusion.
Dessine-moi ton
quartier…
L’enjeu est de
favoriser l’émergence d’un plan de développement territorial intégré et
solidaire en offrant aux habitants la possibilité de devenir des acteurs du
changement.
Les habitants sont les
premiers concernés par les projets de construction et de rénovation des
quartiers.
C’est pourquoi, Madame
Cécile Duflot, votre première mission devrait être de demander aux jeunes des
quartiers populaires de dessiner le quartier de leurs rêves, car sans rêve la
réalité, et la jeunesse, perdent la saveur du défi.
C’est un excellent
moyen de reconquérir l’estime et la confiance en eux des habitants des quartiers.
C’est le seul moyen de leur démontrer que leurs voix comptent, qu’ils ne sont
pas considérés comme des citoyens de « seconde zone » comme ils l’ont
trop souvent été ces dernières années.
Dans une période de
grave crise économique et sociale, il faut avoir de l’inventivité et de la
volonté politique pour répondre à ces besoins. Il faut aller vers eux et
avancer avec eux pour rebâtir des vrais quartiers, avec des services publics,
avec des commerçants de proximité. Un espace urbain conçu pour faciliter le
vivre ensemble, où les habitants bâtissent des liens entre eux.
Du concept … à la méthode
Votre Ministère de l’« égalité
des territoires et du logement » doit donner leur chance à ces jeunes, à
ces habitants, et ainsi redonner un sens au mot « citoyenneté », devenu
un concept plus qu’une réalité ces dernières années. C’est dans l’exercice de
la citoyenneté que se créent les conditions de l’émergence d’un
écodéveloppement urbain qui impliquerait les jeunes dans la construction
collective du vivre ensemble.
Il existe dans tous ces
quartiers populaires un potentiel énorme de savoir-faire et il a été démontré
au-delà de nos frontières qu’il est possible de construire ensemble un
éco-quartier avec la participation des ressources locales, même modestes.
Tous les métiers ressources
existent déjà sur ces territoires, il faut les mobiliser pour réinventer
l’écodéveloppement territorial qui construira une urbanité plus humaine.
Pour réussir ce défi,
il suffit de mener, dans chaque quartier, dans chaque ensemble de bâtiments
sinistrés, dans chaque petite ville, une recherche sur les profils de ses
habitants : charpentiers, maçons, électriciens, plombiers, paysagistes,
jardiniers, architectes, urbanistes, sociologues, agronomes, botanistes,
géographes et toutes autres spécialités qui peuvent contribuer par leur travail
à construire l'éco-quartier.
Dans cet effort, il ne
faut pas oublier d’inciter à la féminisation de certains métiers :
grutières, maçonnes, carreleuses, électriciennes, peintres, ingénieures, conductrices
de travaux.
Les centres de
recherche, les universités, les grandes écoles à proximité peuvent également
collaborer, en mettant à disposition des stagiaires.
Les projets doivent
être élaborés non seulement par les jeunes, mais aussi par les seniors. Cette
diversité de connaissances et de compétences, transgénérationnelle, permet
alors de constituer une équipe multidisciplinaire, seule capable de concevoir
un mode participatif pour exécuter la construction de
l'éco-quartier.
Je vous invite à choisir
quelques zones parmi les plus difficiles et à vous rendre sur le terrain, avec
votre équipe de collaborateurs, afin d’identifier et de mobiliser les associations
les plus représentatives.
Il faut ensuite
organiser des débats en présence des ces jeunes et des seniors au chômage, mais
aussi avec les retraités prêts à partager ces expériences, afin de discuter des
objectifs et des missions de votre Ministère, afin de faire connaître votre
volonté politique et celle du nouveau gouvernement d’agir vite, pour plus de
justice sociale et pour un nouveau projet de société.
Sans rêves, la réalité
perd la saveur du défi !
Imaginez un
éco-quartier dessiné et co-construit par ses propres habitants, des garçons et
des filles qui seront fiers de pouvoir participer à un projet collectif et
durable !
Cette initiative sera
un carrefour d'idées, de projets, d'intégration et de partage, où c’est le
facteur humain qui fait la différence. Ce sera un espace de cogestion urbaine
d’éco-existence solidaire.
Un éco-quartier ne se
résume pas au simple fait de construire des maisons, des appartements selon des
normes écologiques. Il s’agit aussi d’une réorganisation territoriale de
l’espace-vie, avec des règles de coexistence pacifique et fraternelle, en
harmonie avec la nature.
L’éco-quartier ne
cherche pas à sacrifier le mode de vie moderne et urbain, il essaie simplement
de réconcilier l’être humain avec la nature et avec lui-même. C’est aussi le
lieu où l’exercice de la citoyenneté, le respect des droits et devoirs de chacun,
notamment vis-à-vis de l’État et du bien commun, prend tout son sens.
C’est à ces
conditions, et à ces conditions seulement, que l’éco-quartier peut émerger comme
un espace de cogestion urbaine, où il fait bon vivre, développer des liens de
solidarité avec son voisinage, créer un système d’économie solidaire, restaurer
et protéger la biodiversité.
Un espace avec des
jardins, des potagers collectifs, des vergers, des aires de loisirs pour que
jeunes et moins jeunes puissent s’éduquer à la préservation de l’environnement
et du bien public. Un espace avec gymnase, pistes cyclables, chaussées pour
qu’enfants et personnes âgées puissent s’y promener sans risque et lutter
contre l’ennui et l’isolement.
Un espace fait de
réseaux de relations humaines, de services public de proximité, où l’accès aux
moyens de transports propres et collectifs est facilité, d’écoles publiques de
qualité avec des instituteurs formés à l’éducation environnementale et à la
citoyenneté; de centres de formation professionnelle, de dispensaires de santé
publique avec médecins, infirmiers et pharmaciens. Un espace sachant gérer ses
approvisionnements en eau et le recyclage des eaux de pluie dans un usage
domestique.
Un espace où tout le
monde participe à la diminution des déchets par le tri sélectif, où on apprend
à mettre en pratique la règle des trois R : Réduction, Réutilisation et
Recyclage.
Tous ces projets
alternatifs d’écodéveloppement urbain peuvent générer emplois et salaires, destinés
en priorité aux chômeurs, aux jeunes résidant dans ces futurs éco-quartiers.
Quand les jeunes
diplômés et non diplômés seront embauchés pour bâtir le quartier de leur rêve,
ils auront le sentiment d’appartenir au milieu et cela suscitera sans doute un
désir d’engagement citoyen pour préserver l’environnement et les biens publics.
Il est possible de
construire une autre forme de société. Ce n’est pas une utopie. Pour cela, il
faut renforcer la démocratie participative, les consultations publiques,
intégrer les habitants concernés aux débats et aux décisions qui les concernent
directement, notamment les questions aussi centrales que le « vivre
ensemble dans un environnement sain ».
Immédiatement, vous apporterez
ainsi une réponse aux grands défis et priorités du gouvernement : le
contrat intergénérationnel en donnant l’opportunité de créer des échanges de
savoirs et d’expériences, entre les seniors et les jeunes, de créations
d’emplois jeunes, de chances de travail pour des seniors.
Mettre en place les
habitats de demain avec des éco-techniques, cela relève aussi de l’économie
solidaire. Nous pouvons relever ces nombreux défis en mettant en place de
nouvelles formations dans le domaine de l’environnement, avec une éducation
socio-environnementale pour assurer la préservation des écosystèmes urbains.
Voilà ce qui pourrait constituer les bases d’un
plan de développement territorial intégré solidaire pour une vraie politique
d’égalité des territoires et du logement, qui ne soit pas seulement une utopie.
C’est le début d’une révolution
urbaine tranquille, qui repose sur la base d’actions concrètes et démontre
qu’il existe des solutions pour rendre la vie plus saine et plus agréable.
(1) Franco-brésilienne
Docteur en économie spécialisée dans le domaine du développement territorial
intégré et Solidaire
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