samedi 8 décembre 2007

Décentraliser pour démocratiser l’État

Les réformes de la gauche sur la décentralisation ont permis de donner un certain pouvoir économique aux régions, aux départements et aux communes. On note aussi un progrès timide de la démocratie et de la citoyenneté; cependant, la question du partage du pouvoir politique est restée plutôt de l’ordre de la rhétorique que de l’action. Le processus de reforme politique de l’Etat n’a pu aboutir, probablement en raison de la culture politique française, à la fois jacobine et napoléonienne.
Il est pourtant logique que tout changement dans le maillage territorial implique une nouvelle structure de pouvoir. Le territoire reste le cadre géographique dans lequel évolue la collectivité humaine qui constitue l’Etat. L’Etat républicain et démocratique sera capable de se rénover à condition de modifier son architecture et son mode de fonctionnement. Pour cela il est souhaitable d’élargir des formes de partenariat entre l’Etat, la société politique et la société civile, afin de diversifier les modes d’action et de partage du pouvoir. La guérison du centralisme de l’Etat ne signifie pas son dépérissement. L’acteur étatique garde sa place comme garant de la cohésion territoriale, politique et social, mais ni lui ni ses institutions ne peuvent rester immobiles dans une société en pleine mutation et dans un monde en plein changement.

Le partage du pouvoir politique

La décentralisation est l’occasion de redonner du pouvoir politique et de la capacité d’action à des groupes sociaux minoritaires jusqu’alors exclus du processus de décision. La question qui se pose toujours est de savoir quelles sont les marges de manœuvre dont dispose l'État aux différents niveaux (national, régional, municipal) pour mettre en place ses politiques publiques et élaborer une véritable politique économique d’inclusion sociale. Il y a là matière à développer une vraie réflexion politique sur le rôle et les compétences de l'Etat à ses différents échelons.

Alors que les rapports entre Etat et société se trouvent brouillés par le désenchantement de la démocratie représentative, il est plus urgent que jamais de réformer l’Etat en explorant les voies d’une relation nouvelle. Dans cette logique, la démocratie représentative et la démocratie participative, loin de s’opposer, se complètent pour densifier le lien social et la fraternité en réhabilitant la politique. L’enjeu est de mettre en place une cogestion entre démocratie représentative et démocratie participative, où les uns et les autres pourront agir en concertation, pour un autre développement territorial intégré et solidaire capable d’affronter l’idéologie néo-libérale.

A quoi cela sert-il de participer si on ne débouche pas sur des actions concrètes ?

Les gouvernements locaux savent que pour bâtir ce partenariat il faut accepter que les rapports de pouvoir soient ouverts à la contestation démocratique. Il n’existe pas de développement sans une approche globale et intégrée de la réalité et sans la participation active de la citoyenneté politique. Plus les personnes associées au plan de développement territorial seront nombreuses et représentatives de la diversité sociale, plus la participation sera forte. Alors seulement, les experts du développement local, les intellectuels de la démocratie participative, les professionnels employés par les élus politiques pourront contribuer à redonner vie à la démocratie, en France. Alors seulement, les dispositifs de concertation seront réels et permettront d’approfondir les questions qui inquiètent nos concitoyens de façon organisée. Alors seulement, les citoyens pourront être acteurs d’un nouveau développement. L’enjeu est bien de créer des espaces de concertation et d’inclusion politique avec les organisations sociales, en mobilisant les savoirs associatifs, les représentants du monde politique, d’entreprises privées et publiques, des proviseurs de lycées, des présidents d’université, des syndicats, des magistrats, des membres issus des administrations publiques et du monde de la recherche.

C’est au travers de tels échanges de savoirs et d’expériences, que nous pourrions analyser et imaginer des réponses concrètes à la crise sociétale à laquelle nous sommes confrontés. L’élargissement des champs de la concertation entre les différents acteurs du développement est impératif. Il ne doit pas se limiter à la simple consultation des citoyens, mais se construire à partir de leur participation dans la formulation des projets et l’élaboration des prises de décisions. Apprendre à se concerter dans l’exercice du pouvoir est nécessaire, quand la démocratie représentative semble être en panne.

Comment construire une France citoyenne et participative si nous n’arrivons pas à renouveler notre système de représentation politique ?

Alors même que la démocratie se décline en différentes dénominations : participative, directe ou encore de proximité, elle est devenue plutôt la scène d’un incessant lobbying politique plutôt que d'une vraie participation à l’élaboration et la mise en œuvre des choix collectifs. La volonté de réconcilier élus et citoyens en rapprochant ces derniers de la vie politique et des processus de choix démocratique, sur un territoire, n’est pas toujours évidents. Entre la rhétorique et la pratique du gouvernement, le paradigme de la démocratie locale, malgré le label «participatif» et citoyenne, finit par se noyer dans les expertises de management local de la décision.

Le devenir citoyen est largement conditionné par les réalités locales. Cela présuppose que le citoyen français, souvent critique à l’égard de l’Etat, deviendra un citoyen-acteur engagé et abandonnera sa passivité d’usager ; un citoyen qui rechignera quand ses droits seront bafoués mais qui sera capable de proposer des alternatives et acceptera de participer à la modernisation de l’Etat. Les citoyens ne sont pas seulement des usagers des services publics fournis par l’Etat, ils ont aussi des droits et des devoirs envers l’Etat. Et en tant qu’usagers, ils sont les mieux placés pour savoir ce dont ils ont besoin, au moins au niveau local.

Décentraliser pour démocratiser l’Etat suppose des rapports équilibrés entre représentants de la société civile et représentants de la société politique. C’est aussi un moyen pour les citoyens acteurs de conquérir leur «empowerment » ( empouvoirment ) afin de démocratiser le pouvoir. Chaque citoyen organisé peut alors participer, en tant que sujet politique, aux transformations sociales. La participation comme « empowerment », signifie que les groupes et les personnes qui étaient exclus du processus de décision en ont pris conscience et veulent entrer dans l’espace politique et inventer des possibilités d’action collective qui promeuvent ces changements. La participation, tout comme la liberté et la démocratie, ne sont solidement acquises que si elles sont le résultat d’un effort collectif.

En valorisant le débat, l’inclusion des acteurs dans la prise en compte de leurs arguments, ce type de négociation concertée renforce la démocratie représentative et donne de la légitimité politique à agir pour l’intérêt collectif. A partir du moment où les citoyens et citoyennes sont mobilisés, organisés, formés et informés pour participer à l’élaboration et à la mise en place d’un plan territorial intégré et durable, les chances d’avoir un monde meilleur sont décuplées.


Se réapproprier l’agenda 21

Malheureusement la gauche a manqué une excellente occasion de profiter de la décentralisation pour stimuler la mise en place de l’agenda 21 et définir une stratégie de développement territorial intégré, solidaire et durable. Il est temps de rattraper ce retard !

Cette conception du développement, née à Rio au Sommet de la Terre, se veut un processus qui concilie l'écologie, l'économique et le social. Elle établit un cercle vertueux entre ces trois pôles : un développement économiquement efficace, socialement équitable et écologiquement soutenable.

C’est en ce sens que la gauche doit agir, au niveau régional et municipal, pour un développement territorial intégré et solidaire, qui repose sur une nouvelle forme de gouvernance, où la mobilisation et la participation de tous les acteurs de la société civile aux processus de décision doivent prendre le pas sur le simple échange d’informations. Ce type de développement est compatible avec les valeurs de justice sociale, de respect des droits de l’homme, de juste partage du progrès économique, chères à la gauche, qui souhaite promouvoir la démocratie participative et rénover l'approche citoyenne. En ce sens le développement durable est incompatible avec le néolibéralisme prôné par le gouvernement de Sarkozy.

Avec la droite au pouvoir, la décentralisation risque de perdre une partie de son rôle de renforcement de la démocratie et de la solidarité territoriale. Son véritable but est plutôt de désengager l’Etat en transférant de nombreuses compétences aux collectivités territoriales mais sans leur donner les moyens de financer ces nouvelles charges. L’Etat central n’est plus garant de la solidarité nationale, ni capable d’assurer l’équité entre les différentes collectivités. Ainsi les inégalités territoriales ne cessent de grandir et cette question se posera non seulement en termes sociaux et économiques mais aussi en termes environnementaux. Même si le gouvernement de droite semble s’être converti à l’écologie avec son initiative dite du Grenelle de l’environnement, il ne faut pas oublier que l’environnement n’est pas un sujet à part, qui relève d’une démarche isolée. Il faut l’appréhender par le biais d’une vision systémique du développement territorial se fondant sur la recherche d’intégration et la mise en cohérence de politiques sectorielles. Ceci impose un traitement conjoint des effets économiques, sociaux et environnementaux de toute politique ou action humaine.

Refuser les inégalités territoriales, c’est continuer à se mobiliser pour une société équitable, contre la pauvreté ou toute autre forme d’exclusion et exiger le maintien de l’Etat pour garantir des services publics de qualité.

Un aménagement territorial équitable signifie, aussi, une meilleure distribution du pouvoir, sans exclusion sociale ni géographique, afin de créer une synergie solidaire entre les territoires. Pour cela il faut élaborer des instruments efficaces de développement et de lutte contre la pauvreté, tout en conciliant ce qui est, pour la droite, inconciliable: croissance économique, respect des écosystèmes, protection environnementale et sociale assurant un avenir pour la France et l’humanité.



* M. de Melo Foucher est de double nationalité brésilienne et française, docteur en économie et consultante internationale pour le développement intégré et durable.